2 octobre 2010 6 02 /10 /octobre /2010 17:38

Dans cet article du Figaro publié le 16 août dernier, Christian Authier, essayiste, romancier et journaliste français, propose une ébauche de réponse à la question "Que Dalida serait-elle devenue si elle n'avait pas mis fin à ses jours en 1987 ?" 

Il nous signe un texte précis, très bien construit, troublant de vraisemblance et avant tout respectueux de la personnalité de la Femme et de l'Artiste qu'était Dalida.

 

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Des indiscrétions en avaient fait état dans la presse durant l'été, mais lorsque Dalida sortit un nouvel album, "Ciel Immense", le 9 octobre 1988, l'effet de surprise fut tel que même les fans eurent du mal à croire que leur idole revenait parmi eux. Depuis sa tentative de suicide un an et demi auparavant, Dalida était devenue invisible, échappant même aux paparazzis les mieux informés. En ce dimanche 2 mai 1987, c'est son frère Orlando qui l'avait découverte inconsciente dans la chambre de son appartement de la rue d'Orchampt à Montmartre. "La Diva", ainsi qu'il l'appelait, n'avait pas répondu à ses coups de fil. De la fin de la matinée au milieu de l'après-midi, le message du répondeur téléphonique se déclenchait. À partir de dix-sept heures, la tonalité indiquait la ligne occupée. Orlando et la garde rapprochée savaient que la vedette traversait l'une de ces dépressions où les nuits de souffrance semblent insurmontables, où l'on pleure bêtement les deux bras sur la table et où la vie suspendue ne tient plus qu'à un fil. Dalida macérait dans les eaux grises du vague à l'âme, fuyait les vivants, avait même abandonné le rituel des dîners du dimanche soir chez elle où les amis choisis n'offraient guère de prise à la mélancolie. Elle refusait de se rendre chez le coiffeur malgré ses cheveux trop longs qui lui donnaient un air de sauvageonne. "Alors, cela veut dire que c'est fini", avait tranché l'un de ses intimes en apprenant ce caprice et devinant derrière l'anecdotique un plus grave abandon. Le téléphone et le répondeur débranchés, c'était un autre signal. Plus urgent. Orlando déboula vers dix-neuf heures à l'appartement de sa soeur, dont il avait les clés, et la sauva en alertant le Samu.

 

Dix jours dans le coma dus à l'absorption massive de barbituriques puis une longue hospitalisation avant une convalescence inévitablement chargée d'antidépresseurs, "Dali" n'était pas prête à remonter sur cette scène où elle avait annoncé, naguère, en chantant, qu'elle voulait y mourir. Au cours des mois qui suivirent cette nouvelle tentative, seul le premier cercle fut au courant de la mise au repos dans une campagne de France où aucun journaliste ne put la débusquer, à Morterolles, chez Pascal Sevran. Le silence des siens la protégeait du bruit du monde, mais pendant ce temps Orlando préparait l'unique remède pouvant redonner vie à sa soeur.

 

avatar119nc8Ce fut "Ciel Immense", album concocté en secret entre mai et juillet 1988 à New York. Le producteur Mick Lanaro, qui avait relancé un peu plus tôt Claude Nougaro avec "Nougayork", fut mis à contribution. Accompagné du claviériste et compositeur Philippe Saisse, du bassiste Marcus Miller et de quelques autres, il concocta dix chansons mariant une modernité synthétique et électrique à une épure jazz. Quatre compositions originales complétaient de nouvelles versions de titres de Dalida, dont "À Ma Manière" ou "Tables Séparées", et une reprise du standard "She Was Too Good To Me", chanté avec Alain Delon. Le résultat était stupéfiant. Aussi à l'aise sur les rythmes funky que sur les ballades au piano, la voix de Dalida séduisit des centaines de milliers de fans, anciens et surtout nouveaux.

 

Lors du premier concert donné à l'Olympia au printemps suivant, le Tout-Paris se pressait. Dans les loges, après le spectacle, François Mitterrand fendit la ruche des amis et des courtisans pour saluer la diva. À ses côtés, le président reconnu Christian de La Mazière, compagnon fidèle de la chanteuse, dont il avait été un temps l'imprésario.

 

- Cela faisait longtemps, cher ami... À quand une suite au "Rêveur Casqué" ? Votre livre était remarquable. Toute une époque...

- J'y songe, Monsieur le Président, j'y songe...

 

Les deux hommes se revirent à l'Elysée quelques semaines plus tard, lorsque le président remit à Dalida les insignes de Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres. Un autre enregistrement attendait Dalida à partir de janvier 1990, entre Paris et Los Angeles, pour un album d'hommage à la musique brésilienne, ponctué de duos - "O Que Sera" avec Chico Buarque, "Que Reste-T-Il De Nos Amours ?" avec Joao Gilberto, "Ponta De Areia" avec Milton Nascimento - et de compositions originales signées notamment par de jeunes talents comme Art Mengo et Jean-Louis Murat. Un triomphe commercial et critique consacra "Milagres". Dalida n'était plus seulement une grande chanteuse populaire, mais une icône arty dont l'aura fut renforcée par la série de concerts qu'elle donna deux années suivantes avec un quartette (batterie, contrebasse, guitare acoustique, piano) de haut vol. Les concerts s'achevaient par "Il Venait d'Avoir Dix-Huit Ans" et "Avec Le Temps", où elle était accompagnée seulement du piano. Au Carneggie Hall de New York, le 10 mai 1992, Herbie Hancock remplaça son pianiste habituel sur ces derniers titres.

 

76kj31tComblée par ce renouveau musical, l'artiste revint alors au cinéma. À la surprise générale, on la vit devant la caméra de Jean-Luc Godard dans "Spectacle(s)" où elle incarnait un personnage inspiré de Maria Callas, puis dans un remake du "Gloria" de John Cassavetes dirigé par Alain Corneau. Là encore, la critique salua ses performances et le public suivit. Elle retrouva la Calabre de ses parents pour tourner un film de Nanni Moretti, et sa composition de prostituée vieillissante amoureuse d'un client lui valut la palme de la meilleure actrice à Cannes en 1995, presque dix ans après son rôle dans le "Sixième Jour", de Youssef Chahine. Lorsque "Rien Qu'un Soupir" sortit sur les écrans français en septembre, Orlando diffusa un communiqué annonçant que sa soeur prenait une année sabbatique et demandait aux médias de respecter sa volonté de retrait de la vie publique. Des journaux suggéraient une nouvelle dépression ou une maladie, hypothèses que sa seule apparition publique pendant cette période, lors des obsèques de François Mitterrand, ne vint confirmer ni infirmer. De plus, la retraite de Dalida se prolongea au point de sembler définitive. Les planques des journalistes devant son appartement ne donnaient rien. Les très rares allées et venues accréditaient la thèse de son départ de Montmartre.

 

La machine à rumeurs se mit en branle. On évoquait la fuite dans une secte, l'internement dans un hôpital psychiatrique, une opération de chirurgie esthétique l'ayant défigurée et décidée à ne plus se montrer en public... Au fil des ans, les rumeurs - désormais propagées et amplifiées par la Toile - se firent plus délirantes encore : suicide, enlèvement... Des émissions de télévision se penchaient régulièrement sur le "mystère Dalida", recyclant les mêmes entretiens et les mêmes images. On voyait souvent des extraits de l'émission "Sacrée soirée" de 1992 et les larmes de la star quand Jean Sobieski, Arnaud Desjardins et Alain Delon firent leur apparition surprise et que l'acteur chanta "Les Hommes de Ma Vie". Des photographies circulaient et montraient des silhouettes plus ou moins ressemblantes situant Dalida au Caire, dans un monastère de Calabre ou à New York. De fait, il fallait se contenter de ces ultimes clichés du 11 janvier 1996, à Jarnac, où elle était apparue avec son chapeau à voilette et des lunettes noires. De son côté, Orlando n'évoquait plus en public sa soeur, sinon pour indiquer qu'elle seule déciderait ou non de se montrer et de s'exprimer. La même réserve chez ses amis comme Max Guazzini, Pascal Sevran ou Bertrand Delanoë pouvait laisser penser que rien de tragique ne lui était arrivé. D'ailleurs, des blogs et des sites de fans préféraient croire que la star avait enfin trouvé le grand amour et surtout le moyen de le protéger des feux de la rampe et des tragédies qui eurent raison de nombre de ses passions.

 

Dalida avait réussi, mieux encore que Greta Garbo ou Salinger, à se retrancher du monde. Or l'époque n'aimait pas le mystère, le retrait, le silence. Voyeuriste et obscène, elle réclamait la transparence, la confession publique, l'exhibition. Après avoir dédié tant d'années de sa vie au spectacle, à la musique et au cinéma, Dalida s'était éclipsée et, défi suprême, sans donner la moindre explication. Cette réclusion volontaire faisait enrager la presse people, la télévision, Internet, le grand bazar techno-marchand. Il restait le plus important : les chansons et les films de Dalida.

 

Pour ma part, j'ai parlé à deux reprises à Dalida depuis sa disparition lors de longues conversations téléphoniques. La première fois, au printemps 2002, alors que j'avais publié un an auparavant une biographie d'elle. La dernière fois en janvier 2008. Elle avait fêté quelques jours plus tôt son soixante-quinzième anniversaire. Ce qu'elle m'a dit restera entre nous. Qu'est-ce que vous attendiez ? Que je déballe mon petit tas de secrets pour satisfaire votre curiosité, passer à la télévision ou décrocher un contrat d'édition ? Je pense pourtant savoir où elle vit précisément. Vous n'êtes pas obligé de me croire. D'ailleurs, je m'en fiche. Evidemment, je ne suis pas le seul à connaître la vérité, mais ce mur de silence auquel nous nous plions et que nous confortons est notre plus belle récompense. Si vous imaginez que l'un de nous va cracher le morceau, c'est que vous nous connaissez mal. Vous n'aurez pas Dalida vivante. Elle vous a tout donné puis a disparu. Passez votre chemin.

 

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