Une interview exclusive de Victor Franco
DALIDA dit tout
Dalida n’en finit pas de nous étonner. On n’entend pas parler d’elle pendant quelques semaines, on se demande si elle n’appartiendrait pas à un autre temps, et voilà qu’elle réapparaît, telle le Phénix, encore plus radieuse, encore plus éclatante. C’est exactement ce qui s’est passé depuis le vendredi 7 décembre.
Ce soir-là, elle passait à la télévision dans un show mis en scène par Jean-Christophe Averty. Pendant une heure et demie, elle nous a éblouis, au point que plus de quinze millions de téléspectateurs sont restés vissés devant les images retransmises par TF1, à l’admirer, en brune, en blonde, en châtain, à l’écouter chanter en français, allemand, italien, anglais, hollandais ou arabe. Dès le lendemain, la cassette vidéo éditée par René Château se classait parmi les best-sellers. En même temps, sortait un nouvel album – « Dali » – avec dix nouvelles chansons, très belles, qui ont grimpé tout de suite au « hit-parade ».
V.F. : Alors, Dalida, vous voulez dire vraiment tout ?
Dalida : Absolument tout.
V.F. : Quels sont vos projets immédiats ?
Dalida : Je pars pour les Emirats du golfe Persique dans quelques heures. Je vais chanter là-bas pendant une semaine. Puis, ce sera l’Allemagne et de nouveau le Moyen-Orient, avec la Jordanie. Vous voyez, cela n’arrête pas.
V.F. : Même pour les fêtes ?
Dalida : Non, je passerai Noël en famille et la Saint-Sylvestre avec mes amis.
V.F. : Donc, vous ne serez pas seule ?
Dalida : Pas du tout.
V.F. : Qui disait donc que Dalida était toute seule ?
Dalida : C’est vrai, je suis seule parce que je n’ai pour l’instant pas d’homme dans ma vie.
V.F. : Y en a-t-il un en vue ?
Dalida : Hélas ! Je le voudrais bien. Je cherche l’homme de ma vie. J’ai besoin d’aimer. J’ai besoin de passion.
V.F. : Un homme, c’est important ?
Dalida : Dans la vie d’une femme, c’est absolument nécessaire. J’espère retrouver vite l’homme de ma vie.
V.F. : Qui est-il ?
Dalida : Ah ! Si je pouvais le savoir…
V.F. : Comment fait-on pour le rencontrer ?
Dalida : Il faut être disponible.
V.F. : L’êtes-vous, Dalida ?
Dalida : Sincèrement, je l’ignore. Je devrais sortir davantage, aller dans les galas, me montrer un peu plus. Malheureusement, je n’aime guère les mondanités.
V.F. : Vous avez beaucoup aimé, n’est-ce pas ?
Dalida : Oh, oui… Je suis incapable de vivre sans amour.
V.F. : Comment cela se passe-t-il dans votre vie quand vous tombez amoureuse ?
Dalida : C’est extraordinaire. Quand je suis amoureuse, rien d’autre que lui ne compte. Je ne pense qu’à lui, je ne vis que pour lui. Je n’accomplis pas un geste sans le voir et le sentir au plus profond de moi-même. Même sur scène, chacune des chansons que je chante est chantée pour lui. Amoureuse, cela signifie que je suis la prisonnière de l’homme de ma vie, sa prisonnière et sa chose.
V.F. : Comment savez-vous que vous êtes amoureuse ?
Dalida : J’ai le cœur qui bat encore plus vite que d’habitude.
V.F. : N’est-ce pas ce que l’on appelle le coup de foudre ?
Dalida : Je ne suis pas une femme à coups de foudre. Avec moi, ça commence doucement. Je suis romantique, j’aime que l’on me fasse la cour, que l’on se voie, se revoie, de plus en plus tendrement. À présent, la cour à une femme, cela ne se fait plus. C’est devenu : « Tu me plais, viens… » Quel dommage ! La cour, je ne connais rien de mieux pour stimuler les sens, susciter les émotions.
V.F. : Je ne peux croire que l’on ne fait pas la cour à Dalida.
Dalida : On me la fait, évidemment. Cependant, me faire la cour ne suffit pas pour que je tombe amoureuse à tous les coups.
V.F. : Vous est-il arrivé de faire le premier pas vers un homme qui vous plaît ?
Dalida : Oui, bien sûr. Mais, laissez-moi vous dire quelque chose que vous savez sûrement déjà. Généralement, c’est la femme qui choisit et s’arrange pour amener l’homme élu à faire les premiers pas. Toute l’astuce féminine est là, tout l’art de sa séduction aussi.
V.F. : Que vous a donc apporté chacun des hommes de votre vie ?
Dalida : Le premier était un peintre. Il m’a d’abord appris à regarder la peinture, ensuite à l’aimer. Le deuxième adorait la décoration, les meubles anciens. Il m’a inculqué son virus. Un autre homme de ma vie est arrivé avec une montagne de soucis ! Nous les avons résolus ensemble, l’un après l’autre.
V.F. : Et vous, que leur avez-vous apporté ?
Dalida : Beaucoup, en vérité. Je crois que je leur ai surtout apporté ma fidélité et une certaine forme d’équilibre.
V.F. : Quelle était leur attitude vis-à-vis de votre métier ?
Dalida : Ils l’ont tous aimé, tous ont essayé de m’aider.
[…]
V.F. : Qu’est-ce qui fait qu’un jour vous cessez d’être amoureuse ?
Dalida : Cela tient sûrement à mon caractère. En chaque homme de ma vie, je recherche mon père ; et quand je m’aperçois que je ne l’ai pas trouvé, le charme se rompt.
V.F. : Avez-vous tellement besoin d’être protégée ?
Dalida : Oh ! Oui… J’ai l’air comme cela très forte, inébranlable, mais dans la réalité, je suis vulnérable. Je suis un être plein de contradictions. Si je n’avais pas une certaine force de caractère et de l’équilibre, je ne serais pas arrivée à mon niveau professionnel. Songez que je tiens la scène depuis vingt-six ans, que j’ai vendu quatre-vingt-cinq millions de disques et que cela continue. Mais en même temps – c’est mon frère Orlando qui le dit – je suis, paraît-il, trop modeste, trop gentille ; je n’ai pas les dents assez longues. J’ai un besoin permanent de me sentir protégée, réconfortée, de retrouver la force de mon père.
V.F. : Parlez-moi de votre père.
Dalida : Il était musicien, premier violon à l’Opéra du Caire. Son grand défaut : une nervosité qui le poussait jusqu’à la violence. Petite, je le détestais à cause de sa violence. En grandissant, je me suis aperçue que ma haine était de l’amour.
V.F. : Freud explique cela très bien… Votre père vous aimait-il ?
Dalida : Oui, beaucoup. J’avais douze ans quand il est mort. Depuis, il n’a cessé de me manquer.
V.F. : Qui, depuis la disparition de votre père, vous a le mieux protégée, enveloppée ?
Dalida : Orlando, mon frère. Evidemment, cela n’a rien à voir avec ma vie privée. Orlando a toujours été très près de moi, même dans ma plus tendre enfance. Il me protège, établit un écran entre ma vie personnelle et ma vie professionnelle.
V.F. : Êtes-vous une femme de destin ?
Dalida : Le destin, on se le fabrique soi-même à quatre-vingts pour cent. Le reste dépend de divers facteurs extérieurs et du hasard. Même le hasard, je me demande parfois s’il n’est pas le résultat d’une sorte de prise de conscience.
V.F. : Quand vous étiez petite, à quel métier rêviez-vous ?
Dalida : À celui d’artiste. Je ne savais trop si je voulais devenir chanteuse ou comédienne. À la maison, le soir, après le retour de l’école, je reconstituais la classe devant mes parents. J’étais tour à tour la maîtresse, moi-même, chacune de mes camarades, la directrice… J’imitais tout le monde avec leurs voix, leurs gestes.
[…]
V.F. : Comment votre carrière a-t-elle débuté ?
Dalida : En 1956… Dans un bar proche de l’Olympia, trois hommes disputaient une partie de « 421 » : Eddy Barclay, Bruno Coquatrix et Lucien Morisse. Tout à coup, ils ont eu l’idée de jeter un coup d’œil à l’enregistrement, sur la scène de l’Olympia, d’une émission qui s’appelait : « les numéros uns de demain ». Je tentais ma chance cet après-midi-là. Ils m’ont vue. Ce sont eux qui ont décidé de ma carrière : Eddy est devenu mon premier producteur de disques, Lucien mon « Pygmalion » ; Bruno m’a ouvert les portes de son music-hall. Vous connaissez la suite.
V.F. : Pourquoi avez-vous choisi Jean-Christophe Averty pour votre grand spectacle télévisé ?
Dalida : C’est lui qui m’a choisie. Il m’a envoyé son assistant. Puis, nous nous sommes vus. Il m’a dit alors : « Je n’ai encore jamais travaillé avec vous »… On s’est bien entendus.
V.F. : Quand remonterez-vous sur scène ?
Dalida : Au printemps 1986, à Bercy. C’est un projet extraordinaire : Cléopâtre en comédie musicale. Le metteur en scène d’ « Aïda » ; Vittorio Rossi, prendra tout en main. Ennio Morricone se chargera de la musique.
V.F. : Comment Dalida vit-elle ?
Dalida : En harmonie avec elle-même. Dans ma tête se tient un véritable parlement, avec des personnages en perpétuelle contradiction, qui ne sont jamais d’accord entre eux.
V.F. : Cela me paraît extraordinairement compliqué.
Dalida : En effet, mais c’est un excellent système pour aller toujours de l’avant.
V.F. : On dit que vous êtes extrêmement superstitieuse ?
Dalida : Tout le monde le croit, mais c’est faux. Je ne consulte pas les cartomanciennes. Je ne fais pas tourner les tables, ne tremble pas quand un chat noir coupe mon chemin, ne me mets pas dans tous mes états lorsque deux convives se passent la salière de la main à la main. Je n’ai pas peur de porter du vert et l’on peut m’envoyer des œillets.
V.F. : Avez-vous beaucoup d’amis ?
Dalida : J’ai de nombreuses relations, mais peu de vrais amis. Parmi eux, les plus fidèles sont : un journaliste libanais, Samir ; un restaurateur italien de la Butte Montmartre – Graziano – dont l’établissement (Le Moulin de la Galette), se trouve juste en face de chez moi ; une réalisatrice de la télévision, Agnès de la Rive ; un avocat ; Antoine, qui seconde mon frère Orlando ; Denis, un autre journaliste.
V.F. : Que faites-vous lorsque vous rentrez à la maison ?
Dalida : Je lis, regarde des films au magnétoscope ou certaines émissions à la télévision. Je me couche tard. Le dimanche, je réunis mes amis, ils m’appellent la « mamma », parce que je m’occupe d’eux comme s’ils étaient mes enfants. Cela fait vingt ans que je suis leur « mamma ».
V.F. : Vous n’avez pas d’enfants ?
Dalida : Non, c’est mon plus grand regret… À table, je sers tout le monde… C’est une habilleuse – peut-être mon amie la plus proche – qui nous fait à manger… De temps en temps, je m’offre un restaurant oriental – « L’Aliah » de la rue François-Ier.
V.F. : Avez-vous des ennemis ?
Dalida : Forcément. Tout le monde ne peut pas aimer Dalida. Je me souviens de l’un d’eux, qui, vers l’époque où je chantais « Bambino », a écrit : « Nasser n’a pas commencé ses agressions contre la France par la confiscation du canal de Suez. Il nous a d’abord expédié Dalida ! »
V.F. : Etes-vous marquée politiquement ?
Dalida : Pas du tout. Je ne suis ni de droite, ni de gauche. Je chante et m’occupe de mon travail, un point c’est tout.
V.F. : Vous avez tout de même des idées ?
Dalida : Comme tout le monde, mais je ne suis inscrite à aucun parti et ne milite nulle part.
V.F. : On vous a pourtant associée à certains mouvements…
Dalida : C’est une erreur. J’ai, parmi mes amis, des hommes politiques ; je ne partage pas pour autant leurs idées.
V.F. : Pourquoi êtes-vous allée à la manifestation de « Radio NRJ » ?
Dalida : Parce que je suis pour la liberté et la réussite. En France, on n’aime pas toujours les gens qui réussissent. Lorsque j’ai entendu que « NRJ » et d’autres radios libres étaient menacées d’interdiction, je suis descendue dans la rue pour manifester. Cela dit, le grand reproche que je fais aux radios en modulation de fréquence, c’est de ne pas diffuser de chansons françaises. Si cette tendance se maintient, les chanteurs français ne pourront s’exprimer qu’en anglais. Dangereux.
V.F. : Quel est votre plus grand souhait ?
Dalida : Que mon public me garde encore et longtemps dans son cœur.